Achat local

Le coût derrière le produit 3 : la mode locale

Le coût derrière le produit local mode

Dans cette série d’articles, nous souhaitons mettre en lumière les facteurs affectant le coût derrière les produits faits au Québec. Le premier article proposait un survol de la production locale versus la production «made in China». Le deuxième expliquait tout le travail derrière les jouets fabriqués au Québec. Cet article, troisième de la série, dresse un portrait de l’industrie de la confection de vêtements à travers la réalité de neuf entreprises d’ici.

Il n’est pas rare de voir des personnes acheter « simplement parce que ce n’est pas cher », sans même se demander le véritable rapport qualité/prix du morceau ou encore… s’ils en ont (réellement) besoin. J’étais de celles-ci il y a peu et je vous invite à découvrir ma prise de conscience concernant la surconsommation et la fast fashion.

Il s’est créé une véritable déconnexion entre la valeur réelle d’un produit et son prix. Plusieurs éléments entrent en ligne de compte dans le calcul du coût d’un vêtement et la fixation de son prix. Nous avons rencontré neuf entrepreneures mode d’ici, qui nous ont livré les dessous de leur réalité et ont partagé, en toute transparence, les coûts de leurs produits afin que l’on puisse démystifier, pour vous, le coût réel qui se cache derrière un vêtement fabriqué au Québec.

Un merci particulier à chacune d’entre elles : Audvik, Baratin, Bunny and Claude, Clothes & Roads, Gaia & Dubos, Idos42.2, Manteaux Desloups, MB | Alpha Wear et Zak et Zoé.

LE COÛT D’UN VÊTEMENT

Les éléments du coût monétaire du produit

• Les matières premières

Les matières premières sont les constituantes principales, et les plus visibles, des vêtements que nous achetons. Il en existe différents types qui sont détaillés dans l’article l’article Matériaux de conception : la face cachée de la mode. Le coût d’une matière dépend de la fibre ou du matériel utilisés, de leur rareté, de la complexité de leur processus de transformation, de leurs caractéristiques techniques et de leur coût de transport.

Au Québec, il est possible de se procurer différents types de matières : certaines fibres sont entièrement récoltées et transformées localement, comme la laine et le chanvre; d’autres fibres sont importées d’ailleurs et transformées ici, c’est le cas du bambou et du coton bio utilisés dans les sous-vêtements Bunny et Claude et tissus utilisés dans la confection des vêtements de sports Idos42.2; certains tissus sont importés tissés et imprimés au Canada, comme la soie bio utilisée par Gaia & Dubos et imprimée ici avec des encres à base d’eau; finalement, d’autres matières sont importées en totalité par des fournisseurs locaux; pensons aux matériaux techniques utilisés dans la confection des manteaux Audvik.

Le coût derrière le produit local mode

Audvik

« Je suis un peu à la merci des fournisseurs pour ce qui est des couleurs, parce que je suis une petite entreprise, je ne peux pas commander de grandes quantités. J’aimerais ça avoir des couleurs plus ‘’flashy’’ comme du rose, mais il faudrait que je commande 1000 mètres et je sais que ce n’est pas réaliste. » Isabelle, Manteaux Desloups

• Le coût de la fabrication et de la main d’œuvre

C’est ici le nerf de la guerre. Il s’agit de l’un des postes de dépense le plus important dans la confection de vêtements. Le coût de confection dépend de la qualité des coutures et de la minutie du travail, de la complexité de confection du vêtement, de la quantité produite et bien sûr, du salaire de la personne réalisant la confection.

Le salaire horaire moyen dans la confection textile au Canada était, en 2014, de 15,98 $US. Dans les pays asiatiques comme le Vietnam, le salaire horaire moyen était de 0,74 $US. Cela représente un salaire mensuel de 118,40 $US. Encore là, les employés en usine de confection de vêtements travaillent bien souvent plus de 40 heures par semaine et bien au-delà de la limite légale permise. À ce sujet, le documentaire The true cost disponible sur Netflix est très intéressant.

Alors que la main d’œuvre occupe en moyenne 52% du coût total de fabrication d’un vêtement au Québec, elle n’est que de 15-20% dans un pays en voie de développement selon le Collectif éthique sur l’étiquette. De ce montant, seulement 13%, soit environ 0.25$, sont destinés aux salaires des employés, ce qui signifie que les salaires ne représentent que 2,5% du coût total de fabrication d’un vêtement dans les pays en voie de développement.

• Les autres frais

En général, les frais généraux incluent le coût des étiquettes, la boite d’emballage, une partie des dépenses reliées au loyer si applicable, les frais de livraison, etc. Ils représentent normalement entre 3% et 10% du coût total de fabrication et n’incluent pas les dépenses reliées au marketing et à l’administration. Tous les frais de publicité, d’administration, les salaires des employés, etc. ne sont donc pas comptabilisés et doivent être soustraits du «profit» restant des entreprises.

Le coût derrière le produit local mode

Idos42.2

Les coûts non monétaires à prendre en compte

• Le coût humain

Le coût humain n’étant pas quantifiable, il est difficile de l’évaluer à sa juste valeur. Surtout pour le client, qui n’a pas nécessairement conscience de toutes les étapes par lesquelles est passé son T-shirt avant de se retrouver sur les étagères d’un grand magasin. Le coût humain comprend bien entendu le salaire horaire des employés, mais également les conditions de travail, la législation du pays, etc.

Au Québec, nous avons une législation précise sur les normes du travail. C’est pourquoi, lorsque nous produisons localement, il est plus facile de s’assurer que les employés travaillant à la confection de nos vêtements soient bien traités sur le plan humain. Il y a une plus grande transparence.

« Acheter local fait croître notre économie, vous offre le sentiment d’appartenance, puisque sans vous, la compagnie ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui ! Nous avons créé des emplois, mais nous faisons en sorte que la personne qui tisse, celle qui teint et même celui qui nous livre directement à l’atelier nos tissus, puissent assurer leur emploi pour demain. » Alex-Ève, Zak et Zoé

• Le coût environnemental

Chaque année, des millions de tonnes de vêtements finissent leur vie dans un dépotoir. L’industrie du textile est la deuxième industrie la plus polluante au monde, juste après l’industrie pétrolière. Matériaux utilisés, transport et gaspillage sont autant de facteurs qui contribuent à la pollution de l’environnement. Afin de diminuer ce coût, il est primordial de s’informer sur les conditions dans lesquelles le vêtement a été fabriqué:

« On pourrait penser qu’une chemise en coton biologique est nécessairement écolo. Et c’est vrai dans un sens. Le coton biologique est en effet beaucoup moins polluant que le coton traditionnel. Par contre, si cette même chemise n’a pas été dessinée pour durer, n’a pas été fabriquée dans des conditions environnementales, et n’est pas bien entretenue par son propriétaire, son impact environnemental reste élevé. » Léonie, Gaia & Dubos

PRIX DU VÊTEMENT = PRIX ÉTIQUETÉ + COÛT HUMAIN + COÛT ENVIRONNEMENTAL

Le coût derrière le produit local mode

Zak et Zoé

LA FIXATION DU PRIX D’UN VÊTEMENT

• En fonction du coût et des marges

Prenons l’exemple d’un T-shirt fabriqué localement et coûtant 19$ au créateur. Alors que les études montrent qu’un créateur multiplie en moyenne entre 2 et 3 fois ses coûts afin de fixer son prix de gros (prix de vente au distributeur), les entrevues effectuées ont permis de constater que nos créateurs québécois fixent normalement leur prix de gros à hauteur de 1.2 à 1.5. Cela signifie qu’ils vendront 25$ le T-shirt qui leur a coûté 19$ à produire. À ce 6$ de profit, ils devront déduire les coûts d’administration, de marketing et communication, les frais de vente (advenant le cas où l’entreprise travaille avec des représentants), etc. C’est donc dire qu’il reste peu d’argent dans les poches de nos créateurs une fois toutes les déductions faites.

D’un côté, les créateurs font une plus grande marge lorsque les produits sont vendus en ligne. La moyenne des ventes en ligne versus les ventes en boutique vient balancer le profit final des créateurs. De l’autre côté, les boutiques multiplient normalement par 2 le montant d’achat. Dans le cas présenté ici, la boutique achetant le T-shirt à 25$ fixera le prix de vente final du produit, avant taxes à 50$. Encore une fois, ce montant sera variable selon la boutique et la marge variera normalement entre 35% et 50%. Il est important de prendre en considération que la boutique a, elle aussi, plusieurs coûts à défrayer qui ne sont pas abordés ici : frais de loyer, salaire des employés, inventaire, frais de publicités, etc.

• Le prix psychologique du produit

Lorsque nous sommes en boutique et qu’un vêtement nous plait, nous nous posons généralement deux questions :
• Est-ce que le prix du vêtement me convient ?
• À ce prix, la qualité du vêtement est-elle bonne ?

Les réponses à ces questions déterminent une zone d’acceptabilité, avec un prix minimum en dessous duquel la qualité du produit est jugée trop mauvaise, et un prix maximum au-delà duquel vous avez l’impression de vous faire avoir et de payer trop cher pour un item. C’est dans cette zone que se trouve le prix d’acceptabilité (prix psychologique) d’un produit.

• En cohérence avec la marque et le prix des compétiteurs

Un autre élément qui est pris en compte par les créateurs lors de la fixation du prix est la cohérence avec la marque. Effectivement, même si le coût de fabrication d’un article est parfois plus élevé qu’un autre article semblable, les marques n’ont d’autres choix que de baisser la marge qu’elles feront sur ce produit par souci de cohérence avec les autres produits vendus. Les créateurs se baseront également sur le prix d’items semblables offerts par la compétition afin de s’assurer de ne pas avoir un prix trop élevé.

Malgré des prix plus élevés que leurs compétiteurs fabriquant outre-mer, les créateurs québécois sont loin de s’en mettre plus dans les poches, au contraire. La plupart des entrepreneures rencontrées ne se versent pas de salaire et ont des semaines bien chargées, travaillant au minimum 40 heures pour leur compagnie et occupant bien souvent un deuxième emploi pour subvenir à leur besoin et à ceux de leur famille. Le prix affiché sur les étiquettes est loin d’être gonflé et est même souvent en deçà de ce qu’il devrait être réellement. C’est en encourageant les entreprises d’ici que nous leur permettons d’avoir une plus grande maitrise sur leurs coûts et d’offrir des produits de qualité, à un prix raisonnable, tout en ayant un style de vie convenable.

Le coût derrière le produit local mode

Merci à Sophie Boyer de Audvik, Marie-France Richard de Baratin, Perrine de Bunny and Claude, Marie-Eve Bournival-Paré de Clothes & Roads, Léonie Daignault-Leclerc de Gaia & Dubos, Isabelle de Idos42.2, Isabelle Deslauriers de Manteaux Desloups, Bianca Nolin de MB | Alpha Wear ainsi que Alex-Ève Martin de Zak et Zoé.

Révisé par Louise

PHOTO DE COUVERTURE : Crédit Baratin

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